Concept général
Le concept peut être discuté bien évidemment mais seulement en intégrant le vivant.
On ne peut plus parler du vivant sans intégrer le vivant tel qu’il est.
Car ce n’est qu’à partir de ces observations in vivo que l’on peut y penser le vivant et non l’inverse, c’est-à-dire des observations in vitro transférées in vivo par simple hypothèse.
Pendant plus de 20 ans, à travers 7 films et 3 livres, j’ ai essayé de montrer le comportement de la matière dont sont constitués les humains. Je l’ai fait un peu différemment de ce qu’il s’était fait auparavant car je l’ai étudiée chez l’humain vivant et cela lors d’interventions chirurgicales. Cette exploration a été servie par l’apparition de nouvelles technologies comme les caméras Haute Définition, imagerie numérique, logiciels de montage mais elle demeure facilement réalisable par tout chirurgien, accessible à tout observateur et donc aisément vérifiable.
Différents films furent produits pour montrer et tenter d’expliquer que la peau n’est pas une simple moquette, le muscle n’est pas que cellules contractiles, que les tendons qui ne sont pas que des cordes mal vascularisées, mais aussi que le système de glissement qui n’est pas que espaces virtuels et enfin que les cellules ne remplissent pas tout le corps.
En effet, et en tant que chirurgien connaissant bien l’anatomie, j’ai pu constater que certaines affirmations dans l’enseignement de l’anatomie transmises de génération en génération sont sinon fausses mais certainement incomplètes.
Après avoir montré le spectacle du vivant humain par films, photos , articles et livres, il était temps de prendre un peu plus de hauteur et d’élargir le terrain de la réflexion en tentant d’intégrer ces observations dans le champ des autres disciplines. En effet depuis au moins 40 ans, les choses ont changé, des portes se sont entre-ouvertes au sein même de domaines comme les mathématiques, la physique, la cosmologie, la météorologie, les statistiques, les systèmes financiers, etc, engageant un dialogue avec la nature plutôt qu’une tentative de la maitriser et de la décliner sous l’empreinte de l’anthropocentrisme.
Moi même, pendant cette période de pratique de la chirurgie, j’ai développé l’esprit critique qui m’a permis d’étudier les sujets dont je m’apprête à parler et ces nouvelles connaissances scientifiques acquises par la lecture se sont imposées progressivement mêlant curiosité, découvertes et troubles dans mes certitudes.
Tout d’ abord, je fus surpris de découvrir que les choses étaient bien plus complexes que je ne l’avais prévu et que beaucoup de chercheurs dans le monde avaient proposé déjà des concepts applicables à la matière vivante telle que je la voyais.
On a une idée souvent assez simpliste du corps, on le voit fait d’organes assurant des fonctions reliés les uns aux autres par un tissu conjonctif et des cellules partout remplissant au maximum l’espace et assurant tous les rôles.
Ce type d’enseignement considérant le corps en pièces détachées reliées par un tissu de remplissage permet d’appréhender mécaniquement son propre corps comme une machine bien faite avec des entrées et des sorties.
Mais j’ai peur que tout cela soit un peu sommaire. Cette anatomie décrite par Vésale et nos ainés sur laquelle on s’est construit, doit cependant être reconsidérée à l’aune de la science actuelle.
Facteurs physiques
Tout d’abord les facteurs physiques.
Ils sont souvent oubliés car tellement banaux, triviaux. Ce sont ces forces physiques qui résident en nous, comme par exemple la pression artérielle. Quand on voit une telle tension puissante si permanente en nous, quand on voit les berges de la peau s’éloigner dès l’incision, quand on coupe une aponévrose et que les berges s’écartent avec force, la précontrainte, la tension tissulaire des tissus est évidente.
A cela il faut rajouter les gradients électriques si évidents devant le déroulé d’un électrocardiaogramme ou électromyogramme, les concentrations gazeuses, la température avec ces gouttelettes de vapeur sur l’optique de l’endoscope, l’éclatement de bulles à la légère traction tissulaire, les sursauts du nerf, dés qu’on le touche sans oublier les forces de Van der Vaals, pression osmotique, densité des fluides, le ph, et autres qui ont un degré d’instabilité réduit, déterminant le cahier des charges de la vie biologique.
Ce sont ces forces essentielles basiques que d’Arcy Thomson, biologiste écossais du XIXème siècle avait rappelé sans succès devant la vague évolutionniste. On ne peut les négliger, les ignorer et tout concept doit les intégrer, les respecter sinon ce sera l’échec comme ce fût pour les tentatives de compréhension de la matière vivante uniquement à travers la cybernétique ou même la génomique.
Mais en quoi le fait de considérer l’anatomie sous l’angle de la microanatomie apporte t’il une perception différente? Où et comment se situe la nouveauté unique offerte par cette observation du vivant?
Le continu : forme décrite globalisante
Pas de strates ni organes séparés ; conjonctif-constitutif : changement de paradigme.
En premier lieu, c’est la continuité des structures. L’architecture fibrillaire trame le corps de la surface de la peau jusqu’à l’intérieur de la cellule et se continue par les molécules de protéines diverses, atomes et autres.
La Forme au sens Kantien ou Spinoziste avec un grand F peut maintenant donc être décrite, c’est à dire que les relations physiques spatiales, de simple contiguïté sont définies au sein de la matière et donnent une forme déterminée. Un cadre structurant cohérent peut être imaginé. Et même une description et un dessin de cette continuité fibrillaire peuvent être faits.
Cette représentation de l’humain par un tramage fibrillaire harmonieux morphogénétique va faire vieillir les notions d’espace virtuel, de plans libres, superposés et même les rendre obsolètes.
Ce lacis fibrillaire appelé « tissu conjonctif, de remplissage, de paquetage » observé ne pouvait plus être négligé comme il l’avait été durant des siècles.
Ce tramage fibrillaire irrégulier retrouvé dans tous les types de tissu, muscle, os, périoste, tendon, graisse, en continuité avec le cytosquelette comme l’a montré le biologiste Américain Donald Ingber, omniprésent dans tout le corps incitait cette cette question essentielle : le tissu conjonctif est-il uniquement conjonctif, ne faisant que relier les organes séparées ou est-il constitutif, avec une architecture globale dans laquelle les cellules accomplissent leurs rôles spécifiques ?
Ce serait alors un changement de paradigme fondamental.
Dés lors l’anatomie ne peut se percevoir que dans la globalité et la continuité, il n’y a plus de couches, de strates, de plans mais un seul et même réseau fibrillaire habité de cellules avec des densités diverses et différentes, renouvelant profondément la description et le dessin anatomique en 3 dimensions alors que nos manuels la décrivent en deux dimensions depuis Vésale au XVIème siècle.
Mais cette question de continuité appréhendée restait une question tout aussi fondamentale.
Pourquoi cette architecture fibrillaire qui est optimalement cohérente est elle un chaos fibrillaire continu, un apparent embrouillamini de fibre expliquant en partie ce désintérêt par nos ainés?
En effet et c’est vraiment perturbant, ce tramage de fibres dans tous les azimuts constitutif n’a aucune régularité, on ne retrouve aucune forme dite Euclidienne connue, c’ est un fouillis, un buisson de fibres, un méli-mélo et disons le carrément un chaos. Il n’ y a pas de début ni de fin, c’ est un tout globalisant irrégulier.
Cette continuité, fruit de l’observation, trouble car elle n’est pas la base de l’enseignement académique qui nous a préparé à une vision d’une machine humaine bien huilée, organisée, rationnelle répondant aux principes de la physique classique. Comment concilier ces observations incontournables et les théories apprises?
Le mouvement forme mobile
Mouvement très économe, pas de perte énergétique entropie nulle, mouvement infini sans début ni fin.
Poursuivons la réflexion.
Tous ces mouvements de fibres que nous avons observé, ont, à l’ évidence, une finalité fonctionnelle qui est la mobilité. La Forme avec un grand F, vous et moi, peut donc être mobile et cette Forme mobile peut là aussi se décrire avec un mécanisme fait de fibres qui s’étirent, glissent, se divisent, et le tout en cohérence. Nous avons déjà traité ce comportement dans plusieurs de nos films précédents.
Mais si on approfondit un peu plus, on s’aperçoit que le mécanisme observé est très étonnant sur le plan purement mécanique. Nous avons vu qu’il est capable d’absorber la force en la diffusant dans le réseau permettant l’interdépendance et la transmission optimale de la force. Mais regardons de près cet ensemble de mouvements. C’est un système mécanique en recherche d’équilibre constant. Toute contrainte a sa solution immédiate. C’est un mécanisme inédit qui semble ne jamais pouvoir se terminer, souple, sans cisaillement, interactif, façonnant des solutions inattendues, certainement très économe en énergie, finalement inépuisable, et donc sans entropie ou avec une entropie minime. Un nom me vint à l’ esprit : Ilya Prigogine Prix Nobel de chimie en 1977 dont j’avais lu à l’époque « Order out of chaos ».
Ne serait-ce pas un exemple représentatif d’une structure dissipative irréversible décrite dans ses travaux ? C’est à dire, qu’à l’inverse du 2ème principe de la thermodynamique qui affirme que l’entropie est inexorable, il observe que la complexité augmente et en conclut qu’un système ouvert thermodynamique hors équilibre n’évolue pas forcément vers une dégradation mais est capable de transformer de l’énergie perdue, « dissipée ». Et cela peut faire évoluer vers la création d’un projet organisé permettant une adaptation de la structure à sa fonction. Prigogine en a conclu que le vivant ne subit pas le 2ème principe de la thermodynamique et que le propre de la vie est d’inverser ce processus d’ entropie.
Alors que moi, tout naïvement, je recherchais une explication cohérente en faisant appel à des montages dignes de machines à vapeur, cette explication par les travaux de Prigogine me permettait de penser que le chaos apparent fibrillaire observé pouvait être efficient et de la plus belle des façons. Et ainsi me permettait de comprendre tous les mouvements dans l’ espace effectués par la mécanique humaine. Flexion, extension, rotation, élévation, tout était possible dans les 3 dimensions de l’espace.
En même temps que Prigogine introduisait la nature dissipative du système, il y rajoutait la notion d’irréversibilité dans le temps. Or, là aussi, c’était ce que j’observais.
Se rajoutait en effet encore un phénomène troublant associant un apparent indéterminisme et caractère aléatoire qui rappelait certains principes de la physique quantique.
Toutes les fibres ne fonctionnaient pas de la même façon. Certaines étaient fixes, stables, donc déterminées à comportement prévisible, d’autres apparemment moins mais unidirectionnelles dans les 2 dimensions mais cela n’est pas toujours le cas. Le comportement est non prédictible, totalement ouvertes à toutes les sollicitations mécaniques internes ou externes. Une imprévisibilité notoire du mouvement, de la trajectoire, un non déterminisme dans un chaos de fibres, voilà de quoi vous dérouter.
Comment toutes ces molécules de collagène peuvent elles se décoller, se recoller en un instant, en douceur, sans rupture. Cette capacité étonnante vue à un niveau moléculaire est stupéfiante. L’aspect indéterministe de ces comportements qui tous associés donneront des combinaisons incalculables, mathématiquement non résolvables et feront que chacun de nos mouvements seront uniques à la fois dans l’espace et dans le temps. Le geste est donc unique mais comment cela est il possible quand on sait que la mémoire tissulaire est absolue. Jamais un patient ne revient le lendemain d’une séance de massage avec la peau qui reste déformée…
L’irréversibilité dans le temps supposée par Prigogine accompagne cependant un retour immédiat au déterminisme de forme.
Cela devenait compliqué mais Prigogine surenchérissait. Il écrivait que « si les contraintes s’accroissent, les phénomènes dissipatifs augmentent, le système thermodynamique s’écarte alors de l’équilibre et parvient à un seuil d’instabilité marginal qui évolue vers l’apparition de solutions multiples, d’accroissement de complexité, fluctuations, amplifications, engendrant un régime de fonctionnement nouveau au travers d’une structure complexe non prévisible… ».
« Il faut qu’il y ait des nouveautés, et un univers non déterministe permet la nouveauté. »
La perception de toute cette incertitude inévitablement m’oriente vers la physique quantique et cela d’autant plus que nous sommes à des échelles voisines du micron qui peuvent être dominées soit par la physique Newtonienne soit quantique ou les deux associées.
Il fallait résolument, devant ce Désordre Déterministe, capable de nouveautés que je change ma méthode de penser pour essayer de trouver une cohérence confronté à ce mélange de physique quantique et Newtonienne agrémenté d’une dose de physique thermodynamique. Il fallait que je sorte de mon univers académique traditionnel pour m’ intéresser à une science récente pour moi mais en ébullition depuis 50ans, celle des systèmes complexes, chaotiques et non linéaires.
La théorie du Chaos, oui Chaos mais cela ne veut pas dire un n’importe quoi mais le Chaos tel qu’il est décrit au sens de la physique moderne actuelle, celle des récents Prix Nobel et autres Hautes distinctions.
Les systèmes complexes chaotiques non linéaires permettent d’aborder des phénomènes naturels complexes non maitrisables par les mathématiques et la physique classiques comme, le mouvement des nuages, des vagues, la turbulence d’un torrent, la répartition des branches dans un arbre, etc…
Cette théorie bouleverse la vision classique du monde et montre que cet apparent désordre est gouverné par un ordre dynamique sous-jacent capable d’expliquer ces phénomènes naturels jusqu’à présent incompréhensibles.
Cette complexité est due à l’explosion du nombre de possibilités d’événements en interaction qui supposent des agitations, de la turbulence et donc du désordre instillant de l’imprédictibilité et de l’instabilité. Le modèle linéaire classique de l’harmonie platonicienne s’avère inadéquat, et il ne peut pas nous aider à comprendre la complexité car il favorise l’ordre et la stabilité.
En 1795, Laplace, le maître du déterminisme, déclarait dans son livre « Un essai philosophique sur la probabilité » que l’ordre est le résultat d’événements aléatoires.
Henri Poincaré mathématicien de la fin du XIXème siècle fut le précurseur de cette théorie du chaos exprimant le fait que les lois de la nature ne traitent plus de certitudes mais de possibilités. Le futur n’est plus donné, il est en construction.
Edwards Lorenz, Prix Crafoord 1983 fût celui qui par sa découverte des attracteurs étranges lui donna ses lettres de noblesse.
Les systèmes chaotiques et presque chaotiques semblent établir un pont entre les échelles macroscopiques et microscopiques. Le chaos serait une création d’information qui se transmet des petites échelles moléculaires vers les grandes et cela grâce à ce canal qui est l’ attracteur étrange. Les systèmes complexes engendrent de l’information, la stockent au sein même de la structure. Et on rejoint ici la théorie de l’information décrite par Claude Shannon.
Le chaos observé serait donc un désordre ordonné, déterministe et structuré qui concentre les informations en des formes manifestes.
En effet, je compris très vite que je n’étais pas le premier à m’être interrogé sur le fait que les écosystèmes ne s’expriment pas avec les formes de la géométrie classique qui sont des droites, des plans, des cercles, des sphères, des triangles et des cônes.
Les mesures Euclidiennes, la longueur, la largeur et la hauteur ne parviennent pas à saisir l’essence des formes irrégulières.
Déjà d’autres disciplines avaient abordé ce problème et cherché à trouver des solutions, cosmologie, météorologie, sociologie, statistiques, etc.
Pour comprendre la complexité, la puissante abstraction de la réalité au travers de la philosophie de l’harmonie Platonicienne, s’avère être une abstraction inadéquate.
Les nuages ne sont pas des sphères, les montagnes des cônes et les éclairs des lignes droites. La géométrie naturelle est celle de l’entrelacé, de l’enchevétré, du tordu. Les dunes, le mouvement des vagues et une simple pomme de terre, une coupe de salade ou un delta fluvial sont là pour nous rappeler que la nature n’a pas une organisation respectant les règles classiques de la physique.
Ce réseau fibrillaire que j’avais observé tant de fois avait un mode de fonctionnement qu’aucun modèle linéaire classique ne pouvait en rendre compte.
Et à ce moment, vous sentez que tout ce que quoi vous avez appris n’est peut être pas faux mais pourrait être parfaitement incomplet.
Il fallait replacer toutes nos observations dans cette nouvelle perspective des systèmes chaotiques non linéaires.
La forme est un volume. Notion de microvacuole ou de microvolumes permettant l’ adaptabilité. Dynamique des fluides.
J’avais abordé les fibres en premier car j’étais à la recherche d’une explication rationnelle du glissement et les fibres semblaient en être les rouages. Mais maintenant il fallait se confronter aux fluides et aux formes volumétriques car en chirurgie la notion de liquide est omniprésente ; sang, bile, urine, liquide céphalo-rachidien, liquide articulaire. Tous les tissus sont toujours humidifiés. Mais on incise, l’eau ne coule pas à l’état libre comme dans une rivière ou un lavabo. Certes on perçoit un peu de liquide le long des berges, appelée communément la lymphe mais c’est tout. Donc les fluides qui représentent 85% du poids du corps, sont organisés, ne s’échappent pas. Oui mais comment ?
A l’endoscopie on voit bien ces miroirs éclatants, ces zones où la lumière se réfléchit et nous avions compris que ces microvolumes étaient en fait le résultat de l’entrecroisement des fibres dans l’espace. La conséquence immédiate avait été qu’il fallait alors percevoir l’anatomie en volume de matière vivante, dans les 3 dimensions de l’espace. Aspect que l’on ne perçoit pas en consultant les livres d’anatomie en 2 dimensions. Ces microvolumes ont des formes polyédriques toutes différentes et toutes irrégulières, là encore comme au niveau de la surface cutanée. Leur disposition apparemment chaotique, leurs formes irrégulières, leurs contiguïtés non systématisées dévoilent cependant un ordre sous-jacent. Cette irrégularité n’est pas un hasard, un accident non, ces formes ne sont pas des imperfections, elles ont un sens, un degré d’irrégularité permettant une meilleure efficacité à occuper l’espace comparé aux formes Euclidiennes.
On pourrait dire : une forme d’ordre inattendu avec un nombre de degrés de libertés.
Ces microvolumes appelés microvacuoles sont un état de phase d’émulsion de gels colloïdaux qui se manifestent sous influence de la pression atmosphérique, apparaissent quelques secondes après l’ouverture et se maintiennent ainsi jusqu’à l’évaporation.
Cette répartition en une sorte de subdivision de la matière permet d’aborder le problème épineux de la disposition des fluides dans la matière et de l’adaptabilité de la matière aux contraintes physiques extérieures. Quand j’appuie sur la peau, l’écrase, ces microvolumes qui ne sont pas hermétiques ont des pressions internes qui peuvent se modifier. Ces fluides, nous l’avons vu, sont répartis dans ces structures microvolumétriques avec pression changeante car elles sont déterminées par des fibres dont la situation est changeante. Et volume constant entretenu par les GAG permettant de conserver la Forme. Mais ces microvolumes ne sont pas fermés, ce ne sont pas des Lego ils sont ouverts les uns avec les autres, avec une diffusion physiquement possible grâce aux membranes tensio-actives.
La contrainte préexistant dans le réseau fibrillaire confère au système microvacuolaire un certain degré d’élasticité, lui permettant de revenir à sa configuration originelle sitôt que toute contrainte d’origine externe est supprimée.
A l’intérieur de ces échafaudages polyédriques changeant, il y a des fluides changeants. Ce n’est pas de l’eau telle que nous la voyons tous les jours. Certes pas en lacs, rivières mais des liquides imbibant la matière comme le jus dans la pulpe d’orange. Ce sont des fluides colloïdaux constitués de protéines diverses, sels minéraux, eau et autres variables présents en permanence à des concentrations variables. De son côté, l’eau biologique dont l’étude est encore balbutiante pourrait avoir 2 états, dense et pas dense, et semble avoir un rôle dans le phénomène de transport transmembranaire en les interfaces. Les macromolécules influencent le comportement de la viscosité. Elles peuvent relier 2 points d’un écoulement et transmettre des forces et altérer la viscosité par leur cohésion, leur assemblage.
Donc un univers qui n’est pas si simple.
Grace à leur petite taille inférieures au micron, incapables de traverser une membrane semi-perméable, les états colloïdaux sont un état « ultra-divisé » de la matière et ont une faculté de dispersion qui génère une formidable surface d’échange ce qui augmente considérablement les interfaces. Par exemple, la surface d’une mousse est beaucoup plus importante que la surface d’une bulle…
Ainsi les colloïdes ont la propriété des interfaces et pas des phases qui les composent.
Instables semblant échapper à la gravité, ainsi qu’aux forces d’attraction électrostatiques (forces de Van der Walls), ils sont animés d’un mouvement brownien et d’infimes modifications de caractéristiques peuvent entrainer d’importants changements dans le comportement global. Des changements d’état de la matière peuvent être observés, ce sont des turbulences liées à la viscosité, totalement aléatoires associant uniformité et désordre à toutes les échelles. Michael Feigenhaum et Albert Lichaber Leo Kadanoff reçurent le Prix Wolf de physique pour leur travaux sur la matière condensée et les phénomènes de turbulences.
Ces rapports entre la viscosité, la plasticité et l’élasticité de la matière, le comportement sous l’influence des pressions sont étudiés au travers d’une science qui est la Rhéologie, branche de la mécanique, dans des directions différentes de la direction moyenne.
Comment les fluides sont ils répartis, ralentis dans ces types de pathologies ? A cause de quelles forces ? Comme dans cet œdème, ou les liquides sont stagnants, imprégnant toues les structures alors qu’ils disparaissent à la moindre augmentation de chaleur.
Cette capacité d’un état dynamique capable de basculer dans un sens ou dans un autre à grande vitesse s’appelle dans la physique des systèmes complexes chaotiques une transitions de phase.
L’augmentation de température fait vibrer les molécules, la matière se dilate puis cette matière devient discontinue et les molécules s’éloignent les unes des autres, obéissant aux lois des fluides.
Là se situe la physique des matières molles qui valut un prix Nobel à Pierre-Gilles De Gennes en 1991. L’étude de la matière molle biologique est encore à ses premiers pas.
Frontières particulaires entre deux formes d’existence, ces transitions de phase interpénétrées à toutes les échelles obéissent à des mathématiques non linéaires et les prévisions sur le futur état sont mal appréciées et dites aléatoires.
Ces changements d’état s’observent dans le vivant humain.
Nous avons vu que ces fibres sans être fragiles peuvent sous la contrainte d’étirement ou de pressions externes répétées se modifier, se dilacérer progressivement et se rétracter. Cette évolution se voit dans les tendinites, les hématomes anciens, et surtout l’hygroma du coude. Alors, en s’écartant, les microvolumes se rétractent, les fibres se rapprochent et créent un espace qui n’est pas pathologique mais qui va avoir un comportement physiologique différent et adapté.
Dans ces pathologies, le système multifibrillaire et multimicrovacuolaire se transforme en une MEGAVACUOLE grâce à la tension de surface aux échelles microscopiques qui engendre de la stabilité en incitant les structures moléculaires à avoir des limites lisses et donc plus économes en énergie.
On peut observer tout d’abord une réaction œdémateuse voire humide avec élargissement des microvacuoles et des fibres, présence de nombreuses formations en bulles au sein des fibres, phénomène qui a été observé avant la phase de rupture en laboratoire lors d’expériences sur la physique des parties molles. Puis peu à peu des espaces non fibrillaires remplis de glycoaminoglycanes s’individualisent. C’est là une adaptation fonctionnelle avec changement de comportement physiométabolique lors de la souffrance tissulaire.
Par exemple, le canal carpien, au poignet, est le premier point de contrainte mécanique externe de flexion-extension que les fléchisseurs vont avoir à affronter passant sous le ligament annulaire. Le système de glissement multifibrillaire au niveau des poulies de réflexion digitales va avoir le même comportement et sera confronté à une pression mécanique répétée qui entraine une variation morphologique.
Cette conclusion est très importante car elle peut donner une explication à certaines zones libres mal expliquées observées en anatomie mais tout en restant dans une cohérence structurelle. Ce sont les espaces autour du cœur, avec le péricarde, autour du poumon, comme la plèvre, même le péritoine. Ils ont tous un point commun : En leur sein, il y a un mouvement permanent, répétitif.
Et on peut penser que tout au long de la phylogénese, une formule plus efficace a été développée pour répondre aux exigences mécaniques. C’est la solution mégavacuolaire restant en harmonie conceptuelle et fonctionnelle avec l’organisation architecturale multifibrillaire intéressant la globalité du corps humain.
Alors la mécanique de la matière devient plus cohérente. Adoptant le même tramage architectural fibrillaire, on peut décrire 2 composantes :
- soit une composante mobile des systèmes de glissement avec essentiellement des fluides là où une contrainte interne par contraction musculaire ou externe impose une adaptation avec l’absorption de force imposée. Par mobilités fibrillaires, échanges de pression, la force se disperse, se dissipe jusqu’au sein des GlycoAminoGlycanes, glycoprotéines, dont la structure en branche permet la diffusion de la force mécanique.
Cela permet l’ interdépendances des actions motrices comme pour ce tendon dont le système de glissement absorbe la contrainte due au déplacement optimal sans rupture sans perturber les structures périphériques. - Soit une composante opérative avec toujours le même réseau mais essentiellement remplie de cellules ayant des rôles divers, moins fluides, plus homogènes dans laquelle le rapport entre les fibres et les cellules est surprenamment fusionnel.
Les rapports entre fibre et cellules remettent en question la dynamique cellulaire. Les conclusions concernant les cellules après ces longues heures d’analyse des séquences sont essentiellement au nombre de 3.
- Tout d’abord, on ne peut dissocier la cellule du maillage fibrillaire. Les cellules sont nichées dans le réseau fibrillaire, elles sont en totale continuité avec le réseau et on ne peut pas les séparer sans une rupture artificielle.
- La 2ème est que les fibres servent de voies de migrations cellulaires, influencent la forme et la dynamique.
- Et enfin la 3ème : les cellules n’occupent pas tout l’espace, il y a des zones avec très peu de cellules et donc on peut dire que le monde cellulaire n’assure pas à lui seul le volume du corps. Par contre on peut le penser pour le réseau fibrillaire qui est dans tous les recoins du corps.
Mais d’autres questions surgissent. Comment ce volume de matière vivante colloïdal contenant au moins 75% d’ eau est il capable non seulement de résister mais de vaincre lors de sa croissance la plus forte des forces fondamentales de l’Univers ? La force de Gravitation.
Le concept de tenségrité est très utile pour nous aider à comprendre notre relation avec la gravité. Buckminster Fuller, architecte Américain, fut le premier à concevoir des édifices utilisant cette approche comme d’ailleurs le sculpteur Kenneth Snelson.
Les structures basées sur la tenségrité sont différentes des structures de conception traditionnelle. Elles maintiennent leur intégrité parce que leur architecture associe tension globale et compression locale, et parce qu’elles sont dans un état de tension permanente préexistante, fournissant une réponse globale à une contrainte mécanique locale et finalement donnant une indépendance par rapport à la force de gravitation.
La biotenségrité, mot forgé par Stephen Levin, chirurgien Américain, représente une avancée majeure dans notre compréhension de l’organisation des structures anatomiques et autorise à penser comment le réseau multifibrillaire est capable de croitre et résister à la gravité.
Notre prétension tissulaire interne, les fibres à considérer comme des câbles, une organisation en réseau global sont en total accord avec ce modèle d’organisation de la matière vivante seul existant capable d’ expliquer l’équilibre parfait entre les structures constituantes, et la capacité à résister à la force de gravité.
Mais si l’on poursuit notre exploration endoscopique , un phénomène certes déjà connu s’impose à l’ œil de observateur de façon lumineuse : on s’aperçoit que tout semble conditionné par fractalisation à tous les niveaux, non seulement les fibres mais aussi les fibrilles, les subfibrilles et au delà moléculaire. Une structure fractale a le même aspect qu’on la regarde de près ou de loin. La fractalisation ou invariance d’échelle issue des travaux de Benoit Mandelbrot (la plupart d’entre nous connaissent ces dessins informatiques) n’ est pas qu’un mouvement de la nouvelle physique, c’est une attitude du vivant.
Elle ajoute une autre dimension à l’aspect chaotique de la matière vivante. Les structures fractales manquent de régularité, mais cette irrégularité n’est ni aléatoire, ni arbitraire. Il y a une régularité dans l’irrégularité. Quel que soit le grossissement, ils montrent le même schéma d’organisation de base. Certains auteurs à la suite des travaux de Mandelbrot ont suggéré que les structures fractales représentent la géométrie sous-jacente de la nature. une caractéristique ordinaire et universelle de la morphogenèse car le fractal permet de faire tenir la plus grande surface à l’intérieur du plus petit volume.
La fractalisation est un phénomène très répandu en anatomie, comme les alvéoles pulmonaires. La dimension fractale permet à ces structures d’augmenter la surface séparant deux milieux différents, fournissant ainsi une plus grande surface pour les échanges. C’est aussi le cas des villosités intestinales qui sont porteuses de sous villosités puis ensuite chaque sous villosité est divisée en formation comparable mais de taille inférieure. Regardons un tendon, nous y trouvons les fascicules puis les fibres puis les fibrilles puis les microfibrilles puis les molécules de collagène.
Ce comportement a été retenu par la nature car il accroît l’efficacité métabolique et maximise l’exploitation de l’espace.
Notre mode organisationnel est tout à fait comparable à l’arbre qui est un exemple parfait de fractalisation du vivant. Le tronc, les branches, les branches secondaires, la tige, puis l’armature de la feuille jusqu’au niveau de la cellule végétale.
Mais c’est une fractalisation irrégulière , il n’y a pas de formes Euclidiennes dans le vivant humain, il n’y a pas de formes régulières répétitives. L’irrégularité est la règle. Pourquoi donc cette irrégularité si difficile à gérer par les ordinateurs les plus puissants ?
C’est là qu’intervient la notion de rupture de symétrie développée par le travaux des Prix Nobel Kobayashi et Maskawa en 2008.
La physique depuis longtemps a fait remarquer que les symétries équivalent aux lois de conservation. Mais la physique actuelle a aussi cessé de croire que « tout se conserve ». D’où de multiples « ruptures de symétrie ». La rupture de symétrie fondamentale est celle de l’attraction terrestre puisqu’une direction est privilégiée. Au cours de ce siècle, la notion de brisure de symétrie sera peut-être la règle. Elle décrit des interactions et non des objets séparés. Un mouvement et un changement.
« La vie est une rupture de symétrie. »
Mais cette fractalisation irrégulière n’est pas figée, elle est dynamique, capable de prévenir la rupture des molécules de collagène, préserve l’intégrité des microvacuoles, aide à résister à la gravitation mais et surtout permet le développement de la forme, sa croissance.
La fractalisation permet l’auto-assemblage et la croissance. La fractalisation autorise la transition d’une forme stable vers une autre quand une énergie suffisante est disponible. La fractalisation est donc le mode naturel, c’est la dynamique parfaite des systèmes complexes chaotiques non linéaires et il n’est plus étonnant de la rencontrer en exploration intra tissulaire .
Et voilà que nos questions sur le fouillis fibrillaire observé au début de notre exploration commencent à avoir des réponses sérieuses.
Cette fractalisation a d’autres avantages encore. Elle éclaire la morphogénèse et l’organogénese d’un point de vue nouveau.
La croissance et l’organogénèse.
La structure polyédrique n’est pas une simple juxtaposition de structures adjacentes ou une simple contiguïté spatiale.
Elle est le résultat de toutes les forces physiques évoquées au début du film.
Ces forces génératrices ont imposé des formes basiques qui vont persister dans la chaine de l’évolution et influencer l’organogénèse .
Bien sûr les découvertes concernant les gènes Hox apportent des réponses essentielles quant à la localisation du donneur d’ordre. Mais au niveau de la confection et de la contiguïté spatiale, elles n’en fournissent aucune.
La capacité des fibrilles à reproduire la forme polyédrique de base, combinée avec le phénomène de fractalisation dynamique, nous permet de mieux comprendre comment toutes les formes possibles que nous observons dans le corps humain peuvent être créées. Pour cela les logiciels standard de dessin 3D sont très performants. En effet, si l’on prend un ensemble tel que nous l’avons défini, il suffit de lui imposer une contrainte longitudinale pour obtenir des structures cylindriques. Les tendons sont des exemples de structures longitudinales. Les septa intermusculaires et certains ligaments articulaires sont aussi longitudinaux, mais leurs fibres sont arrangées différemment. La réalisation d’un rond telles que les vaisseaux sanguins, l’arbre bronchique, les intestins et les canaux excréteurs se fait déjà spontanément et l’obtention d’un canal n’est qu’une continuation de la contrainte imposée dans la même structure.
C’est aussi le cas même pour des formes plus complexes comme cette forme en colimaçon que l’on retrouve pour les vaisseaux mais aussi pour les glomérules rénaux ou l’oreille moyenne.
Mais allons au delà, l’os par exemple n’est en fait qu’un renforcement du système fibrillaire avec de l’hydroxyapatite, le système respiratoire ne devient que le résultat de la pénétration de l’air dans un système fibrillaire et une thyroïde finalement ne devient que le résultat du remplissage cellulaire du système fibrillaire.
Il y a donc là une réelle cohérence et cela d’autant plus que le système vasculaire, nerveux, lymphatique et la mobilité sont déjà intégrés dans le modèle proposé comme nous l’avons montré dans le film « Architecture d’intérieur ».
Nous approchant de la conclusion, deux réflexions peuvent être abordées. Une est d’ ordre plus général. En effet, devant cette trame architecturale humaine polyédrique au niveau des microvacuoles, des cellules, des capillaires, de la surface de la peau, des poumons, il est difficile d’ignorer le fait qu’on la retrouve chez toutes les autres espèces vivantes animales, aile de papillon, carapace de tortue, patte d’oiseau, mais aussi végétale ; feuille de salade, pulpe d’orange, trame d’une courge et tant d’autres qui pourrait nous faire penser voire affirmer que tous les systèmes biologiques utilisent les mêmes mécanismes universels pour l’évolution et la complexification.
L’autre touche à notre vie de thérapeute. Il est possible maintenant d’expliquer plus facilement, l’œdème qui est un gonflement des microvacuoles sans altérations durables, l’inflammation qui est une dilatation de l’ensemble, vaisseaux compris et altération des fluides. Je comprends mieux maintenant pourquoi une cicatrice peut avoir de multiples conséquences à cause de cette disparition de l’harmonie fibrillaire au profit d’une raideur. Je définis mieux l’ obésité qui est une surcharge des microvacuoles en cellules graisseuses qui par son poids finira par ne plus résister à la gravitation , et enfin le vieillissement programmé de tous les éléments qui est le résultat de la revanche de la force de gravitation et affaissera inexorablement nos contours.
Conclusion
Nous voici arrivés au terme de ce voyage. C’est vrai, c’est compliqué et encore imparfait mais, malgré cette insuffisance de synthèse, il ne sera plus possible d’envisager l’anatomie humaine comme elle est depuis Vésale. Une période de technologies innovantes, performantes, permettent un renouvellement de la pensée dans les sciences et nous impose une vision différente mais prometteuse surtout par l’exploration du vivant. La tendance en sciences au réductionnisme simplifiant la complexité, ne correspond pas à la façon dont la nature s’organise et en particulier dans l’étude de l’anatomie.
Grâce à ces progrès techniques , la nature lève cependant un nouveau pan de son voile et permet d’observer cet ordre inattendu, cet océan de désordre qui génère l’ordre de la vie.
Dès lors il faudra tenir compte de cette architecture d’intérieur, qui pourrait s’identifier au terme « Fascia », d’organisation continue, irrégulière, mobile, adaptative, fractale, chaotique et non linéaire allant de la surface de la peau jusqu’aux constituants les plus fins de notre structure, vecteur de la plus belle des efficiences optimales, la vie .