Commentaires de la Communauté
Adalbert I. Kapandji
C’est pour moi un plaisir, et en réalité un honneur, d’être invité à écrire un avant-propos pour le présent livre, écrit par mon ami Jean-Claude Guimberteau, car celui-ci a transformé notre façon de voir le « tissu conjonctif » grâce à une grande idée : explorer le tissu sous-cutané à l’aide d’un endoscope muni d’une caméra haute-définition permettant un fort grossissement. Il est vraiment stupéfiant de voir ce qu’il a découvert en recourant à une approche aussi simple. Bien sûr, il a d’abord dû intégrer cette méthode d’exploration dans sa procédure chirurgicale de routine. Puis, une fois qu’il a maîtrisé cette technique, quel plaisir, quelle joie de découvrir, entièrement nouvelles et jamais observées jusque-là, les structures et fonctions du tissu vivant. On devrait d’abord prendre le temps de regarder les images, et ensuite seulement se plonger dans la lecture de ce livre merveilleux. Je dis « merveilleux », parce qu’on ne peut que s’émerveiller des images et illustrations qu’il contient. La découverte clé de Jean-Claude Guimberteau est la structure du tissu conjonctif en tant que « réseau pré-tendu », qui explique parfaitement son rôle de lien élastique entre les organes. Cette élasticité est due au « remplissage des espaces anatomiques » par des microvacuoles polyédriques contenant un liquide qui est sous pression. Cela explique comment les structures sont capables de revenir à leur forme initiale aussitôt que cesse la contrainte mécanique. C’est la preuve observable de la tenségrité, une autre science nouvelle, que l’on retrouve dans de nombreuses structures naturelles, mais également dans des structures faites par la main de l’homme, comme celle du béton renforcé. La structure des fibres de ce réseau semble être tubulaire, tandis qu’on voit des bulles se déplacer à l’intérieur. Pour ce qui est de l’organisation de ce réseau, elle est de nature fractale et d’apparence chaotique, mais elle est en fait parfaitement structurée, au contraire du véritable chaos.
Le tissu conjonctif est le « grand unificateur » de notre corps – une immense méta-société de cellules œuvrant à l’intérieur de notre enveloppe corporelle. Il établit les connexions flexibles et élastiques entre nos organes, remplissant les espaces entre des formes différentes et incompatibles. Leur clivage chirurgical est catastrophique, car le tissu cicatriciel remplace le tissu conjonctif. C’est ce tissu conjonctif qui « oriente » et supporte les microvaisseaux qui soutiennent la vie dans nos structures anatomiques les plus délicates, en particulier les tendons. C’est ce tissu qui crée les voies conjonctives, les immenses couloirs de circulation à travers lesquels passent les amas neuro-vasculaires, fournissant un support logistique aux gros organes (dont notamment le cerveau) et aux membres. C’est ce tissu qui, selon les découvertes de Jean-Claude Guimberteau, explique la formation des « structures de glissement » qui entourent les tendons. Le rôle jusque-là ignoré du tissu conjonctif est de conférer une unité à notre organisme. Cette découverte augmente notre conscience de notre monde intérieur et de ses relations avec le reste de l’univers. Le rôle du tissu conjonctif, précédemment négligé, je dirais même traité avec dédain, prend une importance renouvelée grâce aux nouveaux concepts émergeant du travail de l’auteur. L’élasticité du tissu conjonctif sous-cutané permet à l’épiderme, l’enveloppe de notre corps, de nous revêtir d’un habit de peau et d’établir les frontières entre nous et le monde extérieur. En aplanissant les bosses de notre anatomie, et en remplissant ses vides, le tissu conjonctif joue un rôle esthétique essentiel dans la beauté des êtres humains, tout spécialement chez les femmes. L’importance de ce rôle esthétique devient évidente quand il n’est plus assuré, par exemple lorsque le tissu conjonctif disparaît complètement à la suite d’une carence extrême. Sans lui, il n’y aurait de beauté ni dans la peinture ni dans la sculpture. Le tissu conjonctif est la vie : une peau souple et tendue est un signe de vitalité et de jeunesse, car sa fonction pour la santé dépend du tissu conjonctif sous-jacent.
Christophe Colomb nous a ouvert la route vers un nouveau continent. Jean-Claude Guimberteau a découvert un nouveau monde dans le tissu conjonctif… Je vous convie à l’explorer, comme on le ferait d’une symphonie, avec ce nouveau livre !
Adalbert I. Kapandji
Paris, France,
Juin 2015